Audouard raconte Pagnol

Parmi les jours les plus heureux, les plus riches, les plus irremplaçables de ma vie, il y a ceux où j'ai écouté parler Marcel Pagnol. Où je l'ai regardé vivre. Jamais, bien sûr, je n'ai pris de notes (d'ailleurs j'avais toujours un verre dans la main droite). Mais, je me suis aperçu, au fil des années, que j'avais tout gardé en moi sans m'en apercevoir. Je n'ai sans doute pas retenu tous les mots, mais j'ai enregistré la musique. Il y aura peut-être dans ce récit quelques inexactitudes. Mais, je suis persuadé qu'il n'y aura pas de fausse note.
Je me demande même si, parfois, je ne raconterai pas mes propres souvenirs, croyant avec la parfaite innocence du conteur, rapporter ceux de Marcel Pagnol lui-même.
Je pense qu'il ne m'en tiendra pas rigueur (d'ailleurs je l'ai mis au courant de mon entreprise). Il sait mieux que personne que la sincérité de la mémoire est plus importante que l'authenticité des faits, qu'il existe « une vérité du dimanche », une vérité en habits de fête qui est la vérité des gens qui s'aiment. Après tout, à vingt ans de distance, j'ai vécu la même enfance que la sienne, et presque dans les mêmes lieux. Et, sans lui, je n'aurais pas découvert combien elle avait été heureuse. Sans Pagnol, je ne me serais sûrement pas aperçu que j'existais à ce point.
D'ailleurs, tous les Provençaux sont, sinon les fils de Marcel Pagnol, du moins ses cousins germains. Ils font partie de la même famille et possèdent en commun un trésor secret : un art de vivre qui ne s'apprend qu'avec les siècles. Mais ce livre ne peut que vous faire gagner du temps