Partout, dans cette vallée du Périgord où vécut mon enfance, j'ai rencontré, intact et dur, le souvenir du colonel Pontcarral. Ce souvenir habitait alors les maisons comme un portrait populaire illustre le foyer paysan ou s'accroche au mur de l'auberge. Il s'évoquait aussi, mais avec une gêne, presque avec une rancune, dans les nids féodaux dressés sur la Dordogne. En ces demeures, malgré la suite des générations, les âmes se sont immobilisées, du moins jusqu'à la guerre, sous la poudre des vieux décors. J'y ai connu des gens que divisaient toujours les querelles du temps de la Révolution ou de l'Empire. Certain hobereau ne rendait pas le salut à son voisin dont le manoir, acquis nationalement en 1793, avait été payé en assignats. Après un siècle, les faits irritants semblaient appartenir encore à la chronique de la veille. Comment tout ce monde dormant sur ses fastes et ses griefs d'histoire se fût-il réconcilié avec l'ombre d'un Pontcarral ?
Ce fantôme insolent a hanté ma jeunesse. Je l'ai, je crois, aimé autant qu'il fut, en ces lieux, redouté. Bien des fois, parmi les tertres abrupts interdits aux voitures, dans les mauvais sentiers de pierres où butait mon cheval, j'ai cru voir se dresser devant moi son âpre silhouette. S'il m'était apparu réellement, comme apparaissent les morts dans mon pays, je lui aurais crié bien vite :
— Je vous salue, colonel Pontcarral !
Mais il eût passé sans me voir, ainsi qu'il faisait presque toujours, perdu dans son isolement.
Caractéristiques :
- Auteur(s) :
- Albéric Cahuet
- État général :
- Bon
- Éditeur :
- G. P.
- Genre :
- Roman/Fiction
- Format :
- Relié
- Année de cette édition :
- 1951
- Collection / Série :
- Rouge et Or